Le rabbin Salomon, de Jérusalem. Ansya, chamane de Mongolie. Le père Pedro, moine catholique brésilien. Ma Ananda, mystique hindoue. Maître Kong, chargé d’un temple taoiste à Shangai. Cheik Youssouf, musulman nigérien. Gabrielle, professeur de philosophie grecque à l’université d’Amsterdam.
Tous font un rêve les appelant à rejoindre Toulanka, un monastère tibétain. Là, loin de toute civilisation, une mission s’offre à eux, ainsi qu’à Lama Dorjé, moine bouddhiste : unir leurs savoirs et leurs croyances en une seule pensée qui exprimerait la sagesse universelle. Mais sous quelle forme ? Un livre ? Une tablette gravée ? Ils décident de ne laisser aucune trace écrite, mais de transmettre leur message aux deux enfants présents : Natina, fille de Gabrielle, et Tenzin, jeune lama de Toulanka. Une lourde responsabilité pour ces jeunes êtres qui seront chargés de l’étendre au monde entier, l’un en Occident, l’autre en Orient. Les huit sages s’exprimeront l’un après l’autre autour de sept thèmes, sous forme de conte, d’explication ou de citation. Certaines interventions semblent être des histoires anciennes, alors que d’autres sont de toute évidence dirigées vers notre société actuelle, comme ce passage tiré du thème « Du sens de la vie » :
« Dans l’ordre de l’avoir, le désir est sans limites. Pour être heureux, l’homme doit quitter la logique de l’avoir pour passer à celle de l’être. Son bonheur ne tiendra plus à la possession des objets extérieurs, mais à une qualité d’être. Et tout le sens de la vie, c’est justement d’apprendre à « être bien », au-delà de ce que l’on possède, des objets ou des personnes qui nous donnent du plaisir, des évènements qui surviennent. » (p. 72-73)
La grande sagesse de cette œuvre ? Les divers courants de pensée et religion s’expriment pour se compléter, non pour s’opposer. A tel point que le lecteur ne peut les comparer, chaque intervention étant introduite par cette même phrase : « Un sage prit la parole et dit » sans révéler l’identité du locuteur. Parfois, cependant, nous pouvons émettre une hypothèse sur l’origine de certaines histoires, comme pour ce conte provenant du chapitre « De l’art de vivre » :
« Le conquérant franchit la porte d’un monastère abandonné, traversa la cour, entra dans plusieurs cellules inoccupées et soudain s’arrêta. Un moine d’une cinquantaine d’années se tenait là, assis en lotus, immobile et calme, les yeux mi-clos. Le conquérant s’avança alors vers le moine qui semblait ne pas le voir, tira son sabre, en plaça le tranchant sur la gorge du moine et lui dit « Tu cherches à me braver ? Tu prétends ne pas avoir peur ? Ne sais-tu pas que je peux te transpercer avec ce sabre sans même cligner de l’oeil ? » Le moine ouvrit les yeux, regarda tranquillement l’homme redoutable et lui dit : « Et toi ? Ne sais-tu pas qui je suis ? Ne sais-tu pas que je peux me laisser transpercer par ton sabre sans même cligner de l’oeil ? » (p. 148)
Une magnifique leçon de vie, dans la forme comme dans le fond.
Frédéric Lenoir est philosophe et historien des religions. Une référence sérieuse, donc, et non un opportuniste qui surfe sur la vague du zen au moyen de connaissances aléatoires. Une plume apaisante, à la fois claire et poétique. Que du bonheur.
Frédéric Lenoir, L’âme du monde, 2012.
Depuis peu, je connais ton blog mais il est vrai que je suis séduit par la qualité de tes articles