Cyrano de Bergerac – Edmond Rostand

S’attaquer à Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, c’est se livrer à un exercice complexe. C’est essayer de résumer une des œuvres majeures de la littérature française, et tenter d’expliquer en quoi cette pièce fait partie de celles qui m’ont le plus bouleversé.


cyrano-couvL’histoire de Cyrano, c’est l’histoire d’un homme. Cela peut paraître simpliste, mais c’est pourtant le cas. C’est un homme sans réel autre pouvoir que celui de vouloir vivre pour ses idéaux, à travers une seule forme : le panache. C’est le panache qui lui permet de faire voler en éclat un mois de salaire, en moins de dix minutes ; c’est le panache qui le pousse à prendre toujours plus de risque pour ne pas perdre la face, pour rester un homme parmi les hommes, c’est-à-dire au-dessus de la mêlée. C’est donc avec panache qu’il manie le verbe comme personne ; c’est avec panache qu’il ridiculise les nobles et les faibles d’esprit ; c’est avec panache, enfin, qu’il se bat pour les gens qu’il aime.

C’est en cela que ce livre n’est pas qu’une pièce burlesque d’un homme intègre mettant à mal les concepts de domination sociale et d’avilissement personnel. Au risque de paraître un peu niai, c’est avant tout une histoire d’amour. Pas seulement envers Roxane, la fille pour qui il est capable de tout. C’est une histoire d’amour envers les hommes – ou ce qu’ils devraient être –, envers son prochain, envers sa propre conception de l’honneur. S’il est prêt à mourir pour Roxane, il l’est également pour Ragueneau, son plus fidèle ami, ou pour la nation, pour qui il part en guerre.

Cyrano-pages

Cette histoire d’amour désintéressée est ce qui arrive de plus tragique à Cyrano. Nous nous rendons compte, progressivement, que son héroïsme tient au fait qu’il est seul à le concevoir ainsi. Il vit dans une société bien différente de ce qu’il appréhende, faite d’individus lâches, incultes et dont la sensibilité passe bien après leur amour-propre. Le tragique de Cyrano, c’est également son physique, représenté par son célèbre nez. La beauté lyrique de sa personnalité, de son intelligente et de sa fougue ne peuvent égaler son apparence physique, contrairement à Christian, un homme de sa garde militaire, peu doué dans l’art de la prose, peu enclin au courage, mais doué d’une beauté qui le rendra heureux.

« CYRANO

Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui souffle, – et qu’on oublie !

À Roxane.

Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Et bien ! toute ma vie est là :
Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,
D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j’approuve au seuil de mon tombeau :
Molière a du génie et Christian était beau ! »

Les alexandrins d’Edmond Rostand amènent une littérature dont la forme est l’égale du fond en termes de puissance et de beauté. On se délecte des vers, on passe du rire aux larmes tout en étant impressionné par le génie de cet auteur qui a su allier sentiments et courage ; honneur et amour, dans ce qui est un chef d’œuvre pour tous ceux qui croient en ce panache, en cette importance des idées, immuables et éternelles.


Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, première édition 1983.


 

 

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