Nous avons tous eu, durant notre enfance, ce sentiment étrange que nous étions protégés, dans une sorte de cocon, et que progressivement, nous nous dérobons à cette tranquillité, pour vivre l’un des changements les plus complexes de notre vie : le passage à l’âge adulte.
Demian, de Hermann Hesse – prix Nobel de la littérature en 1946, excusez du peu – est la parfaite analogie de ce ressenti. Nous assistons à la rapide transformation mentale et physique d’un jeune garçon du début du XX ème siècle, dont les rencontres vont changer profondément sa conception de la vie, des relations humaines, et du monde qui l’entoure.
Ce monde qui l’entoure était uniquement constitué du cadre familial et de l’école où il suivait une éducation religieuse. C’est le monde de la rue, à travers deux rencontres qui vont progressivement lui faire prendre conscience de la dureté et de la complexité à la fois de l’autre, mais également de soi. Il se rend également compte que si nos actions sont vite pardonnées dans le cercle familial, elles peuvent avoir de terribles conséquences dans la jungle urbaine qu’il découvre à ses dépends.
« Sans doute, en mon propre moi, s’était produit un bouleversement profond. J’avais vécu dans un monde lumineux et pur, j’avais moi-même été une sorte d’Abel et, maintenant, je plongeais dans « l’autre monde ». J’étais tombé bien bas ; j’étais complètement déchu ; cependant, au fond, qu’y pouvais-je ? Et, foudroyant, un souvenir surgit en moi, qui m’ôta presque la respiration. En ce triste soir, où avait commencé ma misère actuelle, où s’était passé cet incident avec mon père, ne l’avais-je pas pénétré et méprisé, un instant, lui, et son monde lumineux et sa sagesse ? »
Demian est un roman où l’individu est analysé avec une loupe qui peut presque mettre mal à l’aise. Les sentiments humains y sont décrits avec une précision telle que la réalité nous prend à la gorge pour ne jamais nous relâcher. Les mots de Hermann Hesse nous rappellent des sentiments que nous avions, consciemment ou non, oubliés, et nous rendent de ce fait très vulnérables. Nous nous rendons compte que nous vivons à notre manière ces moments de doute, à travers nos propres expériences, mais que le résultat est le même : un passage chaotique vers l’âge adulte, la découverte d’un monde froid, des rencontres qui nous façonnent et nous font sortir de notre zone de confort. Et cette tentative de mêler, enfin, ces deux mondes : celui de la rue, celui du cocon familial où la schizophrénie rejoint progressivement une véritable construction personnelle.
Demian est l’un des romans qui m’a le plus ému. Le style est simple, va à l’essentiel. Ce n’est pas un Alexandre Dumas dont les mots nous font vibrer. C’est un livre dont l’intérêt tient davantage au fond, et aux sentiments parfaitement intimistes de ce jeune garçon qui découvre tout simplement la vie, de manière non romancée, justement. Brutalement.
Hermann Hesse, Demian, 1919.